La culture du viol : parlons-en
- Inès Filippigh, Norah Bour, Alyssa Daix
- 1 juin 2018
- 10 min de lecture

C'est une façon de penser ou d'agir qui minimise la gravité ou rend légitime le comportement déplacé d'une personne (dans la majorité des cas un homme) envers la personne qu'elle souhaite séduire (dans la majorité des cas une femme). De manière générale, elle se traduit également par les remarques de personnes tierces, affirmant que l'agression a été provoqué par un comportement aguicheur, ce qui place alors la victime dans le rôle du responsable.
Sondage : Le 2 mai 2018 un sondage sur la culture du viol a été partagé sur le groupe Université de Strasbourg. 1738 personnes y ont répondu, dont 1373 femmes, 347 hommes et 18 « autre ». 54,2% des répondants ont entre 21 et 25 ans, 34,5% entre 17-20 ans, 8% entre 26-30 ans, 2,1% entre 31-40 ans, 1,2% ont 40 ou +. La majorité d’entre eux sont étudiants (78,2%), et les autres sont salariés, entrepreneurs, en recherche d’emploi…
1231 personnes affirment faire la différence entre le viol et la culture du viol, 423 « plus ou mois » et 84 ne la font pas.
Notre problématique est alors la suivante : Pourquoi peut-on estimer que notre culture pousse au viol ?
Pour répondre à cette question, nous allons présenter un développement dans lequel sera expliqué en quoi le masculin est actif et le féminin passif au sein de notre société, puis nous verrons comment l’on passe de la culture du viol au viol lui-même. Ensuite, nous analyserons les différentes conséquences auxquelles elles peuvent amener, et finalement, nous parlerons des idées reçues.
I. La culture du viol : phénomène sociétaire ou inné ?
a) Les racines de la culture du viol
L’expression est née dans les 1970 aux Etats-Unis au sein du mouvement féministe radical.
Elle a également été définie en 1994 par Lonsway et Fitzgerald comme des « attitudes et croyances généralement fausses, mais répandues et persistantes, permettant de nier et de justifier l’agression sexuelle masculine contre les femmes. » Ce concept permet de souligner que les violences sexuelles ont une origine culturelle : autrement dit, elles ne sont pas des aberrations ou des déviances. Elles sont au contraire la conséquence de la façon dont la société est organisée (notamment par des hiérarchies) et de la manière dont la sexualité et les rapports hommes-femmes sont conçus. Ainsi, le terme "culture du viol" désigne l'ensemble des éléments d'une société qui favorisent l'apparition des violences sexuelles, ainsi que leur banalisation et leur impunité.
Mais alors, que pensent les étudiants strasbourgeois ? D’après eux, est-ce dans la nature de l’homme de céder à ses pulsions ? C’est ce que 152 personnes ont affirmé dans notre questionnaire, contre 1465 personnes affirmant que la culture du viol était un phénomène sociétal. Par ailleurs, une vingtaine de personnes pensent que la culture du viol relève d’un phénomène sociétal et de la nature de l’Homme.
b) Masculin actif, féminin passif
Il existe une inégalité homme-femme qui se présente d’abord au niveau biologique. «L’homme possède naturellement davantage de force que la femme, de par une composition corporelle moins grasse plus musclée. L’homme est généralement plus grand, plus carré, et plus imposant que la femme, perçue comme petite, frêle et délicate » (Wordpress, avril 2016). C’est comme ça. Ces propos sont d’ailleurs tout aussi vrais aujourd’hui que lorsqu’ils ont été prononcés par Simone de Beauvoir. Pourtant, ces caractéristiques biologiques ne devraient pas déterminer leurs rôles et actions.
Ici, c’est la relation dominant/dominée dont il est question.
Comme vous le savez, depuis notre plus jeune âge, et ce qu’importe notre sexe, nous visionnons un tas d’images qui nous influencent dans notre processus de développement personnel, et nous apprennent finalement à devenir la femme ou l’homme que nous sommes supposés être. Ainsi, les jeunes filles et garçons grandissent avec une idée du comportement à adopter et développent des attentes vis-à-vis du sexe opposé qui n’ont pourtant aucune signification.
A la question « Valorisez-vous la pudeur chez les femmes ? » seulement 141 personnes sur 1738 (soit 8,1%) ont répondu qu’une femme pudique suscitait plus de respect : ce qui est une très bonne chose. A l’inverse, à la question « Valorisez-vous le courage chez les hommes ? » 400 personnes (soit 23%) ont répondu qu’un homme brave suscitait plus de respect. Le nombre de femmes ayant répondu est beaucoup plus élevé que le nombre d’hommes, ce qui témoigne de la tolérance que les femmes s’accordent entre elles. D’un autre côté, ces chiffres soulignent l’image de l’homme «viril», «protecteur» et «brave» que les femmes se font.
Un article intitulé « Actif ou Passif ? Bzzzt. Mauvaise question » a été posté par QG magazine en 2014. Dans cet article, l’auteure évoque sa lassitude face aux assignations simplistes qui sont les suivantes : femme = pénétrée = passive, homme = pénétrant = actif.
Cette idée reçue dépasse les rapports sexuels et s’applique parfois dans le processus de séduction. En accord avec les traits caractères que nous attribuons aux hommes et aux femmes, et en raison des différences biologiques dont ils font part, ils dressent des portraits féminin séduites / masculin séducteurs.
Par ailleurs, sur les 1738 répondants, 1365 affirment qu’un homme est moins jugé qu’une femme au nombre de ses conquêtes : c’est pourtant sans surprise, en raison de la pression que s’infligent certains hommes (entre eux) à accumuler les conquêtes. Pour un nombre de conquêtes équivalent, les femmes seraient pourtant jugées, dénigrées.
Bien-sûr, il faut nuancer ces propos : l’attitude de chacun ne répond pas à ce qui a été dit précédemment. Ces derniers temps, nous pouvons observer un véritable soulèvement. Hommes et femmes se plient de moins en moins aux diktats, affirmant que toute personne est libre de devenir qui elle veut. Des hommes refusent d’être catégorisé comme étant des prédateurs sexuels, et des femmes comme des proies. Ils dénoncent le machisme, et elles refusent d'être cantonnées à l’image moyenâgeuse de la créature faible et romantique.
II. De la culture du viol au viol a) La culture du viol véhiculée dans les médias
En reprenant les réponses du sondage que nous avons réalisé, à la question « Avez-vous des exemples de films / livres / autre qui participent à la culture du viol ? », la réponse qui est le plus souvent ressortie est 50 Shades of Grey. Evidemment, c’est le parfait exemple de la relation dominant / dominée : « l’héroïne subit la volonté du héros, change pour lui plaire, s’en veut de ne pas arriver à apprécier » a déclaré un(e) répondant(e). Les réponses sont nombreuses et très variées : dans le milieu cinématographique (de James Bond à Star Wars, en passant par La Casa de Papel, Game of Thrones, les films pornographiques, American Pie et même les dessins animés type Disney), dans le milieu musical (le rap ayant souvent été montré du doigt), à la télévision (coucou TPMP et les émissions de télé-réalité), dans la publicité, sans compter les jeux vidéos où GTA est revenu bon nombre de fois. A la question "Selon vous il y a-t'il des médias qui sont plus porteurs de culture du viol que d’autres ?", la majorité des répondants ont nommés les films pornographiques, le cinéma et la télévision.
Voici alors une liste de 6 films qui aident à mieux comprendre la culture du viol d’après le blog MadmoiZelle :
La Belle et la Meute, décrit comme “Un film coup de poing sur la culture du viol”
Elle, décrit comme “un film d’une puissance déconcertante qui traite du viol comme peu avant lui”
Rebelle, décrit comme “un film d’une violence quasi insoutenable”
Les Cerfs-Volants de Kaboul, décrit comme un film qui “rappelle que les garçons aussi sont victimes de viol”
Millenium, décrit comme “un film sombre dans lequel se mêlent enquête criminelle, amour, pouvoir, et violences sexuelles”
Kirikou et la Sorcière, décrit comme “une possible allégorie des dégâts du viol”
Récemment, une série engagée dans le thème de la culture du viol a vu le jour. En effet, 13 reasons why se positionne comme une série militante visant à sensibiliser les plus jeunes à ce sujet encore trop peu abordé. Cette série est donc diffusée sur Netflix, ce média de masse fortement consulté par les jeunes adultes.
L’objectif, en regardant cette sélection, est de mieux comprendre la culture du viol qui est un sujet encore trop peu connu. S’en rendre compte est un premier pas, refuser de se plier à ses stéréotypes, s’accepter soi et accepter les autres en est un deuxième.
b) Les figures médiatiques qui s'opposent à la culture du viol
Un article de Madame Le Figaro, et un de AuFeminin listent des personnalités engagées contre la violence faites aux femmes.

Nicole Kidman : “Tant qu’une femme ou une fille sur trois risquera d’être abusée au cours de sa vie, la lutte contre la violence faite aux femmes devra être l’affaire de tous. »

Jay Baruchel : « Je suis constamment agacé par la manière dont on écrit sur les femmes – particulièrement dans la comédie. Leur anatomie semble être le seul aspect qui définit leur personnalité, et je trouve cela injuste et choquant. »

Angelina Jolie : « ll n'y a pas de futur stable pour un monde dans lequel les crimes commis contre les femmes ne sont pas punis. Nous avons besoin de la génération future, avec des esprits curieux et une vraie énergie, (...) qui pourra faire la différence .»

Prince Harry : « Nous, les hommes, nous devons aussi prendre conscience du rôle que nous jouons. Les vrais hommes traitent les femmes avec dignité et leur montrent le respect qu’elles méritent. »

Léa Seydoux : « En 2015, dans un pays sur deux, le viol conjugal n'est toujours pas condamné. Nous devons tous nous mobiliser contre ces violences et ces discriminations, partout dans le monde.”
Il est important de noter que certaines personnalités prennent parole face au silence médiatique. La culture du viol touche un grand nombre de personnes qui, malheureusement, agissent parfois sans même s’en rendre compte. C’est pourquoi il est important que des figures emblématiques, reconnues et écoutées, parlent de leur engagement.
III. Les conséquences de la culture du viol
a) La peur du jugement
La conséquence la plus dramatique de la culture du viol est la peur du jugement qui va, finalement, amener la victime à rester silencieuse. L’agression sexuelle est banalisée, normalisée.
A la question « Eprouvez-vous de la culpabilité lorsque vous recevez des remarques sexistes, parce-que vous estimez votre habillement / comportement aguicheur ? » 116 personnes ont répondu que oui, 493 d’entre eux affirment qu’ils culpabilisent « plus ou moins » et qu’ils n’auraient pas dû se comporter ou s’habiller de telle manière mais que « c’est aussi aux hommes de se contenir » et 1123 personnes n’éprouvent aucune culpabilité.
Par ailleurs, de nombreux témoignages de victimes mettent en avant les remarques des policiers lors d’un dépôt de plainte. Certaines victimes n’osent pas se rendre dans un commissariat par peur de ne pas être prises au sérieux, ou d’avoir un agent négligeant en face d’elles qui ne prenne pas la peine de les écouter voire même d’accepter leur plainte ; seules 11% des victimes d’un viol ou d’une tentative de viol (soit environ 98.000 cas chaque année) et 2 % des victimes d'agression sexuelle se déplacent dans un commissariat ou à la gendarmerie pour déposer plainte. (Slate, octobre 2017)
Parmi les victimes de viol ou d’agressions sexuelles qui décident tout de même d’aller porter plainte malgré leurs inquiétudes, une grande majorité ne sont pas prises en charge comme il se doit, certaines se sentent méprisées, incomprises. En effet, “82% des victimes ont mal vécu le dépôt de plainte et 70% ne se sont pas senties reconnues comme victimes par la police et la justice.” (Slate, octobre 2017)
b) Le développement d'une méfiance à l'égard de la gente masculine
En raison des nombreux comportements déviants et trop souvent tolérés dans notre société, les femmes se sont mises, de plus en plus et au fil du temps, à développer une certaine méfiance à l’égard des hommes. C’est parfois une peur ancrée en elles au point que celles-ci s’empêchent de vivre comme elles le souhaiteraient, s’interdisent de sortir tard le soir toute seule, ne s’habillent pas comme elles aimeraient de peur d’être jugée ou de se retrouver face à un individu violent, insistant... voire dégradant à son égard. Cette méfiance ne vient pas de la simple imagination des femmes, de leur “paranoïa” comme pourraient penser certains hommes, mais bien de faits réels qui se déroulent au quotidien dans notre société et qui ne sont, malheureusement, pas assez punis ni même reconnus.
IV. Les idées reçues : finissons-en
1. L’agresseur n’est pas connu de la victime, et il agit dans une ruelle sombre
Les recherches basées sur des données attitudinales montre que dans l’imaginaire collectif, le violeur est «autre», il est psychologiquement instable, il porte les stigmates d’un « pervers », il commet son crime à l’extérieur. Cette idée est démentie par les chiffres.
En France, le violeur est connu de la victime dans 8 cas sur 10.
Les viols se produisent le plus souvent au domicile de la victime, à son travail (65 %), dans son école ou dans une institution et 50 % se produisent de jour (Zucker, 2005, CFCV, 2003).
2. Il ne peut pas y avoir de viol au sein d’un couple
Comme nous l’avons dit plus haut, 8 victimes sur 10 connaissent leur agresseur. Parmis les 80% qui connaissent l’agresseur, 31% ont été victime d’un viol conjugal et étaient en concubinage avec l’agresseur au moment des faits. (Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et Hommes, 2014) Ce n’est donc pas parce-que vous êtes en couple avec quelqu’un que cela ne peut pas se produire. Le concept du devoir conjugal est également ancré dans un grand nombre de couples : avoir un rapport avec son partenaire n’est pas un devoir.
3. Certaines attitudes ou tenues vestimentaires provoquent les agresseurs
Quatre Français sur dix estiment que la responsabilité du violeur est atténuée si la victime a une attitude provocante en public.
4. L’homme est, par nature, un prédateur sexuel : FAUX
Pour 61% des Français, 65% des Françaises, un homme a plus de mal “à maîtriser son désir sexuel qu’une femme” . (enquête IPSOS, 2015)
Cette croyance est totalement fausse puisque l’être humain, qu’il soit homme ou femme, est un être doté d’une civilisation et d’un minimum d’éducation qu’il a acquise au sein de la société, de la famille et auprès d’autres individus rencontrés au cours de leur vie. Il n’est donc pas, contrairement à cette affirmation, un prédateur naturel.
5. Une agression sexuelle nécessite une pénétration
24 % des Français considèrent qu’une fellation forcée relève de l’agression sexuelle et non du viol. Une agression sexuelle est un geste à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, commis par un individu sans le consentement de la personne visée ou, dans certains cas, notamment dans celui des enfants, par une manipulation affective ou par chantage.
6. Céder, même sous la contrainte, c’est consentir
Tout comme la notion de consentement, celle de la contrainte semble être bien erronée dans l’esprit d’1 Français sur 5, pour qui le viol n’est pas avéré dès lors que la victime finit par céder lorsqu’on la force.
Par ailleurs, 26 % des Français jugent que lorsqu’une victime ne résiste pas aux menaces de son assaillant, ce n’est pas un viol mais une agression sexuelle.
7. Les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées
21 % des français s’imaginent que les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées – 31 % chez les 18-24 ans (Enquête IPSOS, 2015). Cela peut, certes, être un fantasme. Mais il existe une frontière entre le fantasme de certaines femmes et la réalité. Une femme qui n'est pas consentante ne peut pas prendre de plaisir.
8. Seules les femmes sont victimes d’agressions sexuelles
Selon une enquête publiée en 2016 par l'Institut national d'études démographiques (INED) et intitulée "Violences et rapports de genre" (Virage) environ 600 000 femmes pour 200 000 hommes seraient victimes de violences sexuelles chaque année. Il est difficile de renseigner des chiffres significatifs, puisqu’un grand nombre d’hommes ne prennent pas la parole de peur d’être jugé, blâmé, méprisé.
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